« Passer au bio s’est imposé comme une évidence sanitaire »  

Un entretien avec Ludivine Griveau-Gemma, régisseur du Domaine des Hospices de Beaune. 

Après trois années de conversion, l’année 2024 marque le premier millésime certifié bio du Domaine des Hospices de Beaune. Retour sur cette démarche collective qui a impliqué un défi technique et humain de grande ampleur pour cultiver en bio 60 hectares de vignes… et l’avenir du domaine.    

Pourquoi avoir décidé de convertir les Hospices de Beaune à l’agriculture biologique ?

– Les Hospices de Beaune, c’est un hôpital public et c’est un propriétaire de vignes. Nous nous devons d’avoir des pratiques viticoles cohérentes avec notre mission de santé. Passer au bio a semblé quelque chose d’évident en tant qu’établissement hospitalier : la volonté première est de protéger nos opérateurs, les riverains et les consommateurs en ne les exposant plus aux pesticides de synthèse, dont on sait qu’ils sont plus dangereux pour la santé que d’autres types de traitements. 

Il y avait donc déjà une réelle prise de conscience des risques sanitaires ?

– Oui, l’équipe est très sensibilisée à ça. Il suffit de regarder les étiquettes des produits chimiques de synthèse : les mentions de danger, les symboles et pictogrammes parlent d’eux-mêmes, sans même évoquer les équipements de protection qu’ils nécessitent. Cela donne matière à réfléchir. On a donc commencé par les supprimer dès le millésime 2017-2018, avant de s’engager officiellement dans la conversion en 2021.

Pourquoi avoir attendu quatre ans pour initier officiellement la conversion ?

– Passer 60 hectares en bio, ce n’est pas rien ! Il faut être pleinement motivé, techniquement prêt, mais aussi humainement. De mon côté, en tant que salariée, j’avais besoin d’être prête à affronter des moments compliqués, sans toujours avoir les clés sanitaires en main pour sauver la récolte et assurer des recettes qui seront investies dans notre hôpital. À titre de comparaison, c’est un peu comme si, à l’hôpital, on retirait les antibiotiques pour des cas extrêmes ! 

« La viticulture bio, c’est être capable d’observer et de s’adapter. »

Comment vous êtes-vous préparée à cette transition ?

– D’un point de vue technique, nous avons aidé nos salariés à investir dans des outils performants, notamment des bons pulvérisateurs, indispensables pour travailler en bio. Côté humain, j’ai rejoint des groupes de travail « Viti-Bio » où l’on échange librement sur nos pratiques, nos doutes, nos réussites. Ce sont des espaces d’apprentissage sans jugement, où l’on ose poser des questions, partager ses craintes. Cela m’a énormément aidée d’être épaulée par des personnes expérimentées. 

Et vos équipes, comment ont-elles réagi ?

– Elles étaient prêtes avant moi ! L’adhésion a été immédiate et totale. Certains avaient déjà converti leurs propres vignes en bio, d’autres ont franchi le pas après l’initiative du domaine ! 

Cela a-t-il nécessité des changements dans l’organisation du travail ?

– Non, car notre organisation était déjà rodée. Chaque salarié, qui peut lui-même être vigneron-propriétaire, gère environ 2,5 hectares et dispose de son propre équipement dont un enjambeur (un tracteur enjambeur permet d’enjamber les vignes, ndlr). Grâce à ce système, nous n’avons pas eu besoin d’augmenter les effectifs. En bio, les passages de l’enjambeur sont plus fréquents – tous les 7 à 8 jours en bio, entre 12 à 14 en conventionnel – mais bien sûr, cela change en fonction des conditions propres à chaque millésime. Ce qui pilote nos actions, c’est l’observation.

Justement, comment surveille-t-on 60 hectares de vignes en bio ?

– La viticulture bio, c’est être capable d’observer et de s’adapter. Depuis six ans, nous avons mis en place une sorte de maillage d’observation. Chaque salarié effectue une opération de comptage le mardi, par exemple des tâches sur les feuilles qui peuvent être les premiers signes d’une maladie, et il partage ensuite ses données sur un groupe WhatsApp. En parallèle, la direction du domaine sillonne d’autres rangs dans d’autres parcelles et la FREDON (un réseau national qui intervient principalement sur des missions de surveillance du patrimoine végétal français, ndlr) intervient également sur un troisième lot de vignes. Toutes ces paires d’yeux nous permettent de couvrir le domaine chaque semaine et de construire une base de données solide. En fonction des alertes, nous intervenons rapidement, et, si nécessaire, nous avons la force de frappe pour traiter l’ensemble de nos surfaces en une matinée. 

Quels sont ces traitements autorisés en bio ?

– On utilise des produits de contact comme le soufre ou le cuivre. Ces traitements, appliqués sur et sous les feuilles, empêchent les champignons responsables du mildiou ou de l’oïdium de s’accrocher. Mais ils doivent être renouvelés régulièrement, au fur et à mesure du cycle végétal, avec l’apparition des nouvelles feuilles et dès qu’il pleut ou que les rosées sont fortes. En viticulture conventionnelle, les produits sont dits pénétrants, car ils se retrouvent dans la sève. C’est comme la différence entre un antibiotique ingéré qui va circuler dans votre corps et aller à sa cible et une pommade antibiotique qui va être moins efficace après une douche, donc qu’il faut réappliquer après !

Pourquoi certaines bouteilles des Hospices ne portent-elles pas le label bio ?

– C’est une spécificité de notre fonctionnement. Nous vendons nos vins en fûts, en vrac, à des clients et des maisons de négoce qui assurent l’élevage et la mise en bouteille. Si ces opérateurs ne sont pas eux-mêmes certifiés bio, le vin final ne pourra pas porter le label, même s’il est issu d’un raisin certifié bio. Cela peut créer de la confusion pour le consommateur ! Je travaille actuellement avec Ecocert pour créer une forme de certification partielle qui garantirait la traçabilité des lots bio des Hospices, même chez des opérateurs non certifiés.

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