
Un entretien avec Olivier Gergaud, professeur d’économie à KEDGE Business School
En analysant les notes attribuées à plus de 128 000 vins par des spécialistes de la dégustation, les enseignants-chercheurs Olivier Gergaud et Magali Delmas ont mis en évidence un avantage significatif des vins issus de l’agriculture biologique et biodynamique. Retour sur leurs travaux, de la méthode d’envergure déployée jusqu’aux vives réactions provoquées par ce pavé dans le verre.
Qu’est-ce qui vous a poussé à étudier l’impact du bio sur la qualité du vin ?
– Tout a commencé avec ma rencontre avec Magali Delmas, une chercheuse qui avait mené une enquête sur les motivations des viticulteurs californiens à passer au bio. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, leur principal moteur n’était pas économique, mais lié à la volonté de préserver un vignoble sain pour les générations futures. En 2011, nous avons commencé à collaborer sur cette question en partant d’un constat simple : personne ne savait réellement si le bio améliorait ou non la qualité du vin. Il y avait beaucoup d’idées reçues, mais peu de preuves scientifiques. Notre objectif était donc clair : à caractéristiques égales, un vin bio est-il de meilleure qualité qu’un vin conventionnel ? Il était crucial de mener une étude rigoureuse et indépendante pour répondre à cette question.
Comment avez-vous procédé pour mener cette étude ?
– De nombreux facteurs influencent la qualité d’un vin, comme le millésime, le cépage ou la région de production. Nous avons donc cherché à isoler un seul de ces éléments : la méthode de production. L’idée était d’analyser l’impact spécifique du bio, qui exclut les pesticides chimiques de synthèse et repose sur des pratiques plus respectueuses de l’environnement. Faute de pouvoir mettre en place une méthode expérimentale, nous avons opté pour une analyse statistique à grande échelle, en nous basant sur les notes attribuées à 74 000 vins californiens par trois sources de notation des vins californiens (Wine Advocate, Wine Enthusiast et Wine Spectator). Cette approche nous a permis de mesurer l’effet du bio sur la qualité perçue des vins.

Quels ont été les premiers résultats ?
– Nous avons constaté un impact significatif du bio. En moyenne, dans sa note sur 100, un vin bio obtenait 4 points de plus qu’un vin conventionnel à caractéristiques équivalentes. Par exemple, un vin noté 76 passerait à 80 s’il était issu de l’agriculture biologique. Ces résultats, publiés en 2017 dans le Journal of Wine Economics, ont eu un écho mondial.
« Un vin bio est en moyenne 5 % mieux noté qu’un vin conventionnel, et cette différence atteint 10 % pour un vin en biodynamie. »
L’étude a-t-elle eu un impact en France ?
– Oui, sa médiatisation a suscité un intérêt fort en France, nous incitant à reproduire l’expérience sur le marché français. Cette fois, pendant cinq ans nous avons analysé 128 182 notes attribuées par trois guides spécialisés : Gault & Millau, Bettane & Desseauve et Gilbert & Gaillard. Ces sources étant très différentes dans leurs approches et parti-pris, nous avons pu affiner notre analyse et distinguer plus précisément les modes de production : conventionnel, raisonné, bio et biodynamie.
Les résultats ont-ils confirmé vos premières observations ?
– Absolument, et ils les ont même amplifiées. Nous avons constaté que le passage du conventionnel au raisonné ne changeait pas significativement la qualité perçue dans la note. Cependant, lorsque l’on passe du conventionnel au bio, la note augmente en moyenne de 5 à 6 points. Et entre le bio et la biodynamie, on observe un gain similaire. Ainsi, un vin biodynamique est noté environ 12 points de plus qu’un vin conventionnel à caractéristiques égales. Un vin bio est donc en moyenne 5 % mieux noté qu’un vin conventionnel, et cette différence atteint 10 % pour un vin en biodynamie.
Comment peut-on dire que la qualité et le goût sont directement liés ?
– Dans notre étude, nous avons mesuré la qualité par la note attribuée au vin, qui est un agrégat de plusieurs critères (aspect, nez du vin, bouche, longueur…). Une analyse plus fine des commentaires de dégustation serait intéressante : observe-t-on des termes spécifiques comme “salinité” ou “profondeur” apparaître plus fréquemment pour les vins bio ? Nos résultats suggèrent en tout cas que le bio procure un supplément de plaisir gustatif auprès d’un public de dégustateurs expérimentés et d’un profil très varié. C’est aussi une motivation forte pour les grands domaines qui se convertissent au bio dans une logique d’amélioration de la qualité, comme l’a fait le Château Pontet-Canet à Pauillac, qui a connu une ascension remarquable depuis ses efforts environnementaux.

Comment ces conclusions ont-elles été accueillies ?
– Lors de la publication de nos résultats en 2021, les réactions ont été très contrastées, voire violentes. Certains ont vivement critiqué l’étude, ce qui montre à quel point le sujet divise. Pourtant, nos travaux ont été publiés en 2021 dans Ecological Economics, une revue scientifique rigoureuse qui a validé notre approche méthodologique. Nous avons croisé trois sources de données indépendantes et nous sommes appuyés sur plus de 128 000 notes de dégustation attribuées par des experts. Ce n’est donc pas une simple opinion, mais une analyse fondée sur un volume de données conséquent. L’un des arguments souvent avancés contre notre étude est que toutes les dégustations n’ont pas été systématiquement réalisées à l’aveugle. Mais il faut comprendre que les évaluateurs professionnels comparent des vins dans le temps et dans l’espace. Avoir un minimum d’informations sur un vin permet d’établir des comparaisons plus précises et cohérentes. Aujourd’hui, je n’ai connaissance d’aucune étude qui contredirait nos résultats.
Comment expliquer le lien entre méthode culturale et qualité du vin ?
– Le biologiste Marc-André Selosse explique notamment que l’arrêt des pesticides chimiques de synthèse favorise la vie microbienne des sols et le contact entre la vigne et la terre. Une terre plus vivante permet aux racines de la vigne de plonger plus profondément, de puiser davantage dans les couches minérales et d’accéder plus facilement à l’eau. Cela impacte mécaniquement le goût du vin et renforce également la résilience de la vigne face aux sécheresses.
Quel impact cette étude peut-elle avoir sur les consommateurs ?
– C’est l’une des études les plus marquantes de ma carrière, car c’est un support pour échanger sur un sujet d’actualité qui touche à la fois au travail du chercheur et à notre écosystème. Elle invite chacun à réfléchir à sa consommation : quel vin voulons-nous boire demain ? Quelle agriculture voulons-nous pour nos enfants ? Pour ma part, j’essaie de privilégier les vins certifiés en bio ou en biodynamie. Cela me permet de soutenir des producteurs engagés dans une viticulture respectueuse de l’environnement, en accord avec les résultats de nos recherches. L’avenir du vin passe par cette production plus durable et responsable. Aujourd’hui, on boit moins, mais mieux : c’est l’occasion de faire des choix qui ont du sens, de respecter la terre qu’on emprunte pour faire du vin.