Engagement collectif : « Si on n’agit pas à la source, on perd la course contre le climat » 

Un entretien avec Karine Mirouze (Domaine Beauregard Mirouze) 

Après les dramatiques incendies dans l’Aude de l’été dernier, vient désormais le temps de la réflexion et de la reconstruction. Pour Karine Mirouze, vigneronne avec son époux Nicolas dans les Corbières au Domaine Beauregard Mirouze, la réponse passe par exemple par le projet “Semer l’avenir”. Son objectif ? Imaginer le vin de demain collectivement, avec le bio et la diversification culturale. Éclairages.

Qu’est-ce qui a motivé votre conversion au bio ?

– Nous sommes labellisés depuis une quinzaine d’années, mais tout est parti de notre attention au sol : c’était et c’est toujours notre obsession ! Quand nous avons repris le domaine familial en 1999, nous avons rapidement arrêté les engrais et les désherbants. On a arraché des vignes en souffrance et le chantier, ça a été de redonner vie au sol. On a d’abord laissé l’enherbement spontané en hiver puis semé des couverts végétaux, apporté du compost puis de la matière organique animale grâce aux brebis qui pâturent dans l’inter-rang. Le bio a été une étape essentielle, avec l’envie d’aller plus loin.

Aller plus loin, jusqu’où ?

– Expérimenter, toujours. L’agroécologie avec les couverts végétaux, l’agroforesterie en plantant des arbres dans les vignes pour recréer de la biodiversité, comme les chauves-souris qui mangent les nuisibles… Globalement, nous sommes dans une démarche d’affranchissement : retrouver une autonomie face à l’industrie phytosanitaire, reprendre la main sur notre outillage, sortir de la monoculture de la vigne pour être moins exposés aux aléas du marché du vin. On dépend déjà tellement du climat, des règles, des droits de douane… Tout ce qu’on pourra gagner en autonomie nous rendra plus résistants ! 

Le bio joue donc un rôle dans la résilience du vignoble ?

–  Oui. Depuis qu’il y a de la vie dans les sols, un équilibre s’est créé. Nos vignes ont développé leur capacité d’adaptation. Cet été, malgré la sécheresse et la canicule, les vignes ont pu produire des raisins équilibrés. On a eu des récoltes plus petites, des raisins moins juteux, mais ils ont mûri correctement et fermentent très bien avec les levures indigènes.

La sécheresse est devenue un élément avec lequel composer ?

– Depuis quatre ans, il tombe moins de 300 mm de pluie par an, soit presque la moitié de la norme, généralement comprise entre 500 et 600 mm. Ce qui nous inquiète le plus, ce sont les sécheresses d’hiver. Les nappes phréatiques ne se rechargent plus. Même nos vieilles vignes, aux racines capables de puiser loin dans le sol, sont en danger.

À ces défis climatiques s’ajoutent les incendies, qui ont bouleversé la région l’été dernier.

– Beaucoup de gens ont été marqués, et une prise de conscience est née : “il ne faut plus refaire comme avant”. La déprise agricole (NDLR l’abandon de l’activité de culture ou d’élevage) est au cœur du problème. On arrache massivement les vignes (4 000 hectares l’an dernier) mais, derrière, que deviennent ces terres ? On n’en fait rien de positif : elles tombent en friche, car les vignerons qui arrachent n’ont ensuite pas les moyens de les entretenir. Ces friches-là, ce sont des calamités pour le feu. Avec la monoculture et le surpâturage, on voit bien que l’homme n’a pas été raisonnable : il a pris le plus possible à son environnement, sans penser à long terme.

« Tout ce qu’on pourra gagner en autonomie nous rendra plus résistants ! »

Pensez-vous que ces incendies marquent un avant/après ?

– Oui, une vraie solidarité s’est levée ! Aujourd’hui, l’enjeu, c’est de mettre en place la diversification des cultures. Si on veut qu’il y ait encore du vin demain, il faut autre chose que du vin sur les domaines. Le réchauffement climatique vient aussi de nos pratiques agricoles : productions intensives, engrais chimiques, transports… On peut être résilients, oui, mais si on n’agit pas à la source, on perd la course contre le climat. Avec notre tiers-lieu et les associations avec lesquelles on travaille, on expérimente d’autres voies : pastoralisme, agroécologie et diversification avec des oliviers, des grenadiers, des pêchers, des caroubiers… Le travail d’expérimentation et de laboratoire a été fait en grande partie et, aujourd’hui, on est capables de dire : on sait faire !

Vous avez créé un tiers-lieu paysan au domaine. Quelle est son ambition ? 

– Il s’appelle “Tiers-Lieu paysan Beauregard”. C’est une association qu’on a créée avec Nicolas et c’est un groupe local autonome de l’Atelier Paysan. Beaucoup d’amis venaient nous interroger sur nos pratiques (pâturage, semis, couverts végétaux… ) et sur la diversification culturale, alors il a fallu répondre collectivement, car c’est la seule façon d’y arriver ! Le but, c’est recréer du lien, réfléchir à comment faire autrement, dialoguer avec ceux qui veulent changer. On s’entraide, on mutualise du matériel, on troque nos savoir-faire… C’est comme ça qu’on arrivera à maintenir les paysans et les paysannes en place. Qu’on soit agriculteurs, producteurs, associations ou habitants du territoire, on se retrouve pour des journées de mobilisation dans lesquelles nous menons des ateliers avec des groupes de travail dédiés. Lors des opérations de régénération “Refleurir les Corbières”, on était une cinquantaine à semer des friches agricoles. Après le feu, tout est noir, tout est silencieux. Redonner du pouvoir et de l’espoir aux sinistrés, c’est ça, semer l’avenir. Si on arrive à montrer ces dynamiques solidaires, je suis convaincue que cela donnera envie à des gens de revenir, de venir travailler, s’installer ou même visiter ! 

Vous serez présente à Millésime BIO. Quelle est votre attente pour cette nouvelle édition ? 

– Je fais le salon depuis 2012 ou 2013. Bien sûr, c’est pour rencontrer nos clients et en trouver de nouveaux. C’est aussi une manière de dire qu’on cultive autrement. Ce que je souhaite aujourd’hui, c’est qu’on parle différemment du vin. Il y a une crise de consommation, et je pense que c’est aussi dû au fait qu’on a rendu le vin snob. Ça me fait tellement de peine quand des gens s’excusent de ne pas s’y connaître ! Chez le fromager, on ne s’excuse pas de ne pas être un connaisseur ! On a éloigné les jeunes avec ce discours intimidant. J’aimerais qu’on redonne au vin son côté “alimentaire” : une bouteille qu’on boit, qu’on partage, tout simplement. On est des paysans avant tout. Il faut redescendre ! D’ailleurs, mon premier vin est à 10 euros, et il est bio ! 

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